L'établissement d'un barrage sur la Gileppe fut demandé par les lainiers verviétois vers 1857, afin de disposer de la quarantaine de milliers de m3 d'eau pure nécessaires tous les jours à l'industrie textile de l'époque. Les industriels ne voulaient surtout plus être sous la coupe des Eupenois, dont les usines utilisaient également l'eau de la Vesdre, mais en première main. Ils souhaitaient, en outre, que chaque entreprise de la place disposât d'une eau vierge et d'égale pureté.
Les travaux qui seraient entamés à la Gileppe comprendraient, par conséquent, l'édification d'un aqueduc qui desservirait les usagers.
Le Lion
Le lion qui veille sur la muraille, le regard fixé vers l'EST, est l'oeuvre de Félix Antoine Bouré. Il en avait taillé les éléments dans un grès tendre de la vallée de la Sûre (Grand-Duché). Le lion comporte 183 blocs, pesant jusqu'à 7 tonnes pièce; il développe 13,50m de hauteur, 16m de longueur et 5m d'épaisseur, ce qui représente 130 tonnes de pierres. Durant l'été 1970, ce lion fut précautionneusement démonté par sciage des joints, puis réédifié au faîte du nouveau barrage : l'entreprise avait demandé 40 jours de travail ...
La muraille
L'ingénieur Bidaut fut chargé des études préparatoires et aussi d'en conduire la réalisation. Le site précis du futur barrage fut choisi en fonction de la perméabilité des roches et conditionné par l'orientation presque verticale de leurs bancs. Le barrage lui-même, du type poids, fut construit en moellons bruts de grès, noyés dans un mortier de chaux. Décrivant un arc de cercle de 500m de rayon, il avait une longueur de 235m au faîte, 82m au fond et 47m de hauteur totale; son épaisseur était de 66m à la base et de 15m en crête : l'ensemble représentait 260 000 m3 de maçonnerie. Les travaux, exécutés pour le compte de l'Etat, s'étagèrent de février 1867 jusqu'en fin novembre 1875 et furent menés par les Entrepreneurs Braive et Caillet de Verviers. Fait piquant à remarquer : ce premier barrage fut DEJA surhaussé en cours de construction ! En effet, le premier mur prévu, d'une élévation de 37m, permettait une capacité de 6 millions de m3; on y ajouta 11m de hauteur et la capacité fut portée, de ce fait, à 12 millions de m3. La rupture de pente de la paroi aval et sa corniche de pierres de taille étaient les témoins du changement d'optique.
Le barrage fut mis sous eau en mai 1875 et inauguré le 28 juillet 1878 en présence du roi Léopold II. Notons encore que, par arrêté royal, la Ville de Verviers assurait l'équipement des prises d'eau et prélevait celle-ci dans toute la mesure de ses besoins.
Dans les années 1960 et suivantes, la vétusté de l'ouvrage commença à se marquer davantage. De plus, l'accroissement des besoins industriels et aussi la crainte des sécheresses vinrent ajouter le poids de leurs arguments en faveur d'une modernisation et d'un surhaussement de la vieille digue. La décision fut prise; la formule adoptée tenait compte des risques de guerre sur un ouvrage semblable et aussi de la possibilité d'un tremblement de terre dans la région ainsi que des facteurs d'économie de réalisation. Le mur existant, préalablement exhaussé par une digue en béton de 20m d'élévation, serait inclus dans un vaste enrochement méthodiquement tassé : celui-ci formerait une masse de 1,2 millions de m3 de matériaux gréseux prélevés dans la carrière toute proche de la Borchenne.Les parements consisteraient en gros moellons de grès posés à la main et calés pour former un perré. La réalisation de cet ouvrage titanesque portait de cette manière la contenance du Lac de la Gileppe à 26 millions 430 000 m3, dont 24 millions de m3 de capacité utilisable.
Les tours de prises d'eau
Le lac -- réservoir de la Gileppe, destiné à fournir de l'eau à usage domestique et industriel, présente après modernisation une toute nouvelle structure : les deux tours de béton qui émergent du lac même.
Leur but est de pallier l'inconvénient grave que présentaient les anciennes prises d'eau installées fort près du fond et qui, de ce fait, ne prélevaient pas nécessairement l'eau de la meilleure qualité. L'on sait, en effet, que dans un réservoir important, l'eau subit constamment des modifications avec le temps; son degré d'acidité et sa composition chimique varient, et s'y ajoutent des bouleversements dans la stratification des couches d'eau. En réalité, il faudrait pouvoir à tout moment capter l'eau là où sa qualité est la meilleure, et c'est précisément ce que réalisent ces tours.
Formées d'un fût cylindrique, elles développent 75m de hauteur pour un diamètre de 8,90m. Le béton particulier dont elles sont construites est épais de 1,20m à la base et de 0,80m au sommet; il représente 4800m3, contenant 390 tonnes d'acier. Quatre pertuis y sont aménagés et répartis sur la hauteur, permettant un prélèvement sélectif de l'eau : une analyse continue de la qualité de celle-ci, réalisée à partir des tours également, définit le niveau de captage.
Chaque tour est au surplus reliée à la berge par une passerelle de 92m de longueur, répartie en deux travées de 46m; elle est formée de caissons pentagonaux de 2,38m de haut, en béton contraint par des câbles d'acier. Cette passerelle surplombe de 6m l'eau du lac.
L'eau est recueillie, au départ des tours, par des tuyaux d'acier qui l'amènent à l'aqueduc de 9km, pour être ensuite distribuée.
Le déversoir
Le nouveau barrage est pourvu d'un déversoir unique; on l'a voulu massif pour l'harmoniser avec l'ensemble, mais surtout pour éviter toute submersion de l'ouvrage.
Deux pertuis, larges de 8m, livrent passage au surplus d'eau. Chacun d'eux est obturé selon les besoins par une vanne-wagon en acier, pesant 25 tonnes et suspendue au double point-cadre; elle est commandée électriquement.
L'eau est reçue dans un bassin d'amortissement construit sous la chaussée, puis elle débouche à l'arrière du barrage au pied d'un mur de béton de 22m d'élévation et s'engage dans un canal de fuite qui peut évacuer 185m3 par seconde. L'eau parvient alors dans un bassin d'amortissement d'une capacité de 18 000m3 : 4 mètres d'épaisseur d'eau amortissent la force vive que créent les 60m de dénivellation. Au-delà de ce bassin, un chenal de béton de 1224m de longueur a été subsitué au cours naturel de la Gileppe. Ce canal est profond de 2m, large de 6m au fond et de 11m en haut, et peut débiter un maximum de 100m3 par seconde. Il amènent les eaux de la Vesdre à Béthane.
Les vidanges
Deux canalisations de vidange utilisent les anciennes galeries construites à cet effet : elles se développent sur 380m en rive droite et 520m en rive gauche. On y a posé des tuyaux d'acier, dont le diamètre varie de 1,80 à 2,20m, et qui peuvent évacuer 89m3/seconde. Il faut donc plus de 4 jours pour vider le lac, mais 37 heures suffisent pour éliminer 10 millions de m3, équivalant à 40% de la réserve; leur évacuation fait baisser de 10m le niveau de l'eau du lac.
La centrale hydro-électrique
Les deux colonnes en acier de 900 mm de diamètre qui alimentent l'aqueduc voient passer, en moyenne, 76 300m3 d'eau tous les jours, sous une hauteur de chute de 42,90m. Cette force considérable est utilisée pour entraîner deux turbines de 430ch qui meuvent chacune un alternateur triphasé d'une puissance maximum de 320kW sous une tension de 6 000V; la production annuelle de ces groupes se chiffre à 3,3 millions de kWh. Cette énergie est utilisée pour les besoins mêmes du barrage et de ses installations annexes; le surplus est vendu au réseau de distribution.